Naissance d'un géant des airs
Ancien employé de la Luftschiffbau Zeppelin dans laquelle il était en charge du bureau d'études dédié aux grands hydravions transatlantiques, l'ingénieur Claude Dornier avait acquis une solide expérience dans le domaine des grandes structures métalliques et une excellente réputation auprès de la marine. Une fois à la tête de Dornier-Metallbauten GmbH, l'homme la mit à profit pour concevoir ses propres hydravions. L'étude poussée de l'évolution du rapport poids/puissance permit à Dornier de réaliser des appareils de plus en plus grands, passant du Dornier Libelle de 60 ch en 1921 au Wal de 710 ch 1922, puis au Superwal de 2000 ch en 1926, tout en maintenant la même architecture générale.
L'extrapolation finale de ce processus fut le Dornier X, dont les premières esquisses furent tracées en septembre 1924. Véritable outil de propagande pour laver en partie l'humiliation du traité de Versailles plus que moyen de transport révolutionnaire, le Do.X devait être le plus gros avion du monde. Pour cela, il fallait résoudre le problème de la motorisation, à une époque où les propulseurs fiables ne dépassaient pas les 500 ch. Il fallut deux ans d'études pour trouver une solution acceptable, en affinant progressivement le rapport poids/puissance, passant de sept moteurs totalisant 4200 ch à douze moteurs développant une puissance totale de 5800 ch. Cette solution imposait le recours à six nacelles de deux moteurs en tandem. Le choix du refroidissement par air permettait d'économiser plus de 3 t à puissance équivalente. Le moteur sélectionné était déjà connu pour être monté sur le Superwal: il s'agissait du Bristol Jupiter VI construit sous licence par Siemens.
La construction du nouvel hydravion ne pouvait être entreprise à l'usine Dornier de Manzell, près de Friedrichshafen, non seulement parce que le traité de Versailles interdisait à l'Allemagne de construire des avions à moteur, mais également parce que la taille des hangars était insuffisante et qu'il était impossible d'y construire une rampe de mise à l'eau adaptée. Il apparaissait cependant essentiel que le site de construction soit proche de Manzell, cœur de toute l'activité de recherche et développement de Dornier. C'est la localité suisse d'Altenrhein, sur la rive Sud du lac de Constance, qui fut retenue. Elle ne se trouvait qu'à un quart d'heure de bateau de Friedrichshafen.
La construction du prototype Do.X 1 débuta le 19 décembre 1927 et demanda 240 000 heures de travail. Achevé le 9 juillet 1929, l'hydravion effectua son premier vol le 12 juillet, à seulement 3 m au-dessus des eaux du lac de Constance, piloté par Richard Wagner.
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Construction du Do.X 1 avec au premier plan la structure de la voilure. | Mise en croix du Do.X 1. | Le Do.X 1 peu avant son premier vol le 9 juillet 1929. (crédits photo : Ullstein Bild) |
Le 21 octobre 1929, Dornier frappa un grand coup en faisant voler le Do.X 1 avec 169 personnes à bord, dont 10 membres d'équipage. Le vol de 53 minutes au-dessus du lac de Constance établit un record qui ne fut battu qu'en 1949 par le Lockheed Constitution. Le Do.X 1 ne reçut son certificat de recette qu'en octobre 1930 et fut immatriculé D-1929.
Les essais en vol montrèrent les faiblesses de la réfrigération par air des moteurs en tandem lors de fonctionnement prolongé à puissance maximale. Dornier décida alors d'opter pour les moteurs américains Curtiss V-1570 Conqueror à refroidissement par eau. Leur poids plus important était compensé par une puissance unitaire plus élevée (640 ch), et par la possibilité d'exploiter tout leur potentiel grâce à l'efficacité de la réfrigération par eau. Le remplacement des moteurs intervint entre février et août 1930.
Équipé de ses nouveaux moteurs, le Do.X 1 était fin prêt pour une grande tournée promotionnelle transocéanique. Partant du lac de Constance le 3 novembre 1930, il gagna les Pays-Bas, l'Angleterre, la France, l'Espagne puis le Portugal. À Lisbonne, un incendie rapidement maîtrisé survenu le 29 novembre l'immobilisa deux mois pour réparations. L'appareil poursuivit son périple par les îles Canaries qu'il gagna le 31 janvier 1931. Après un nouvel incident le 3 février, lorsqu'il heurta la houle à 130 km/h, il dut rester trois mois aux Canaries pour renforcer sa structure. Il put finalement reprendre son périple le 3 mai et descendit la côte africaine jusqu'en Guinée portugaise pour traversée l'Atlantique en direction de Natal puis Rio de Janeiro qu'il atteignit le 20 juin 1931. Le 27 août, le Do.X 1 fit une arrivée triomphale à New-York où il resta neuf mois avant de revenir en Europe, suite aux ennuis financiers de la société Dornier-Metallbauten.
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Le D-1929 en escale dans la baie de Rio de Janeiro en juin 1931. | Le D-1929 survolant New-York. | Le D-1929 après son amerrissage à New-York. |
Le 9 mai 1933, l'appareil s'abima en se posant sur le Danube près de Passau. Bien que l'empennage fut rapidement réparé, cet accident mit un terme à la carrière de l'hydravion. La Lufthansa considérant que l'appareil n'était pas rentable, le Do.X 1 fut démonté à Travemünde et expédié à Berlin en 1935 pour être exposé dans un musée. Détruit lors d'un bombardement en novembre 1943, il n'en reste aujourd'hui que quelques reliques.
Carrière italienne
En 1928, la compagnie SANA de Gênes ouvrit des négociations avec le ministère de l'air britannique pour que l'exploitation d'une partie de la ligne Londres-Alexandrie-Calcutta lui soit confiée, à savoir la portion Rome-Alexandrie. Les tractations semblant bien engagées, la SANA commanda deux exemplaires du Dornier X (les Do.X 2 et 3) en demandant à ce qu'ils soient propulsés par des moteurs Fiat A 22 R de 560 ch refroidis par eau. Mais une fois la construction des appareils entamée, le ministère de l'air anglais refusa de céder l'exploitation de la ligne à la SANA. La compagnie pensa alors les utiliser sur la ligne Gênes-Rome-Naples-Tripoli, qui était alors la plus fréquentée d'Italie. Mais avec une moyenne d'à peine 10 passagers par voyage, il était illusoire d'employer un appareil prévu pour un taux de remplissage de 100 personnes. La SANA se rendit compte de son erreur et chercha à céder les deux hydravions à la Regia Aeronautica. Le sous-secrétaire d'état à l'aviation, le général Italo Balbo, demanda au général Rodolfo Verduzio un rapport sur l'opportunité d'un tel achat. Ce dernier fut on ne peut plus clair : en plus d'être trop chers, les Do.X ne seraient d'aucune utilité pour l'Arma Azzura. Mais Balbo, sans doute pour des raisons de prestige, passa outre cet avis et approuva le rachat pour 30 millions de lires.
Le premier appareil, immatriculé I-REDI, effectua son premier vol le 16 mai 1931 et fut transféré à La Spezia le 28 août, avec ses marquages civils et un équipage mixte italo-allemand de 18 personnes. Le second, immatriculé I-ABBN, gagna la péninsule le 13 mai 1932. Une fois en Italie, les deux appareils furent baptisés RI (pour Regio Idrovolante) Umberto Maddalena et Alessandro Guidoni et reçurent les matricules militaires MM.182 et 208 respectivement.
Entre le 16 septembre et le 12 octobre 1931, le RI Umberto Maddalena réalisa une tournée promotionnelle dans la péninsule italienne, faisant escale sur le lac de Bracciano près de Rome, à Naples, Salerne, Scalea, Trebisacce, Tarante, Bari, Barletta, Vieste, sur les îles Tremiti, à Pescara, Ancône, Zara, Fiume et Pola (les actuelles Zadar, Rijeka et Pula en Croatie), Trieste, Venise, le lac de Côme et Gênes.
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RI Umberto Maddalena au mouillage à Venise, devant la pointe de la douane, en octobre 1931. (crédits photo : collection Giorgio Apostolo) |
RI Umberto Maddalena sur le lac de Côme le 12 octobre 1931. |
L'Umberto Maddalena fut tout d'abord confié au 2° Centro Sperimentale de Vigna di Valle, sur le lac de Bracciano, pour y être évalué. Les deux hydravions géants furent ensuite basés à Torre del Lago, sur le lac de Massaciuccoli, pour les protéger de la corrosion marine. Ils furent employés pour des missions d'entraînement au profit de l'académie aéronautique, de transport de personnel et de matériel ou à l'occasion de manifestations publiques. Le 5 juin 1932, l'Umberto Maddalena transporta le duc Aimone di Savoia-Aosta lors de sa visite à Cagliari.
Le 3 juin 1933, l'Umberto Maddalena fut endommagé au décollage, le pilote ayant cherché à cabrer l'appareil trop vite. Privé de dérive, l'appareil se trouvait immobilisé en rade d'Augusta et, après un examen attentif, les autorités militaires décidèrent de le faire remorquer par le Giasone jusqu'à Marina di Pisa pour confier la réparation à la CMASA. Le remorquage en pleine mer sur près de 1000 km ne posa aucun problème, l'hydravion tenant parfaitement la mer, la seule difficulté consistant à trouver un remorqueur suffisamment puissant. L'Umberto Maddalena arriva à Marina di Pisa le 3 juillet et fut transféré non sans difficultés dans le grand hangar construit expressément pour le recevoir.
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Dérive du RI Umberto Maddalena arrachée au décollage en rade d'Augusta le 3 juin 1933. (crédits photo : collection Giorgio Apostolo) |
La faible activité des deux appareils couplée à des coûts d'exploitation prohibitifs conduisirent la Regia Aeronautica à les placer en réserve à La Spezia en 1935 puis à les ferrailler en 1937.
Description technique
Le Dornier X était un hydravion à coque entièrement métallique. D'un volume total de 400 m3, elle reposait sur une structure construite en duralumin et comprenant une poutre centrale de 23,3 m de long, deux fausses quilles de part et d'autre et 58 cadres supportant des lisses. Le revêtement était assuré par des tôles de duralumin de 3 à 4 mm d'épaisseur en fond de coque pour résister à un amerrissage violent, et de 1 à 2 mm ailleurs. La stabilité était assurée par deux pontons ou « nageoires » solidaires de la coque. Un redan se situait au cadre 35.
La voilure formant un rectangle aux extrémités arrondies de 48 m d'envergure, 9,5 m de corde et 1,28 m d'épaisseur maximale était basée sur une structure tri-longeron. Elle soutenait les douze moteurs en tandem, alignés en une seule rangée. Sous les nacelles moteurs, l'aile était revêtue de tôle de duralumin pour permettre aux membres d'équipage d'y circuler. Le reste de la voilure était entoilé.
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Nacelles des moteurs Fiat A 22 R sur la voilure du Do.X 2. | Détail des radiateurs carénés dans le pylône d'une des six nacelle moteurs du Do.X 2. (crédits photo : Archiv DSLR) |
L'empennage comprenait 53,4 m2 de gouverne de profondeur et 19 m2 de gouvernail de direction.
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Empennage du Do.X 2 en escale à Venise en octobre 1931. (crédits photo : collection Giorgio Apostolo) |
La coque était divisé en trois ponts. En bas, le pont C était partagé en sept compartiments par six cloisons étanches. Les trois compartiments centraux renfermaient six réservoirs d'essence représentant 16 000 litres et un réservoir d'huile de 1300 litres. Les autres compartiments abritaient l'outillage de bord, les bouées et gilets de sauvetage et trois canots.
Le pont B accueillait les 24 passagers dans de luxueux salons, mais également une ancre à l'avant, les couchettes de l'équipage, un cabinet de toilette, des WC et une cuisine électrique à l'arrière.
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Écorché du Do.X 1. | Réservoirs de carburant vus depuis le pont B du Do.X 2 en construction. | Aménagement de la cabine passagers du Do.X 2. |
En haut, le pont A, ou pont de commandement, était divisé en trois postes. À l'arrière se trouvait le local radio qui abritait également les machines auxiliaires, dont un diesel DKW de 12 ch entraînant deux générateurs pour alimenter les radios, la batterie, l'éclairage, le système de chauffage et un compresseur servant au lancement des moteurs. Au centre, sous l'aile, se trouvait le local de contrôle/commande des douze moteurs disposant de six consoles verticales de part et d'autre de la coursive. C'est d'ici que les mécaniciens commandaient le régime moteur en fonction des ordres transmis par les pilotes via des répéteurs, comme sur un navire. De là, deux échelles permettaient d'accéder aux tunnels traversant la voilure pour mener aux nacelles moteurs. À l'avant, on arrivait au poste de navigation et de commandement disposant d'une table à carte, éclairé par de larges fenêtres rectangulaires. En franchissant une porte coulissante, on aboutissait au poste de pilotage bénéficiant d'une instrumentation de vol ultramoderne. Le pare-brise comprenait deux vantaux ouvrant vers l'avant permettant d'accéder sur le pont avant pour les manœuvres d'accostage.
Récapitulatif de la production (pour l'Italie) | ||||||
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Appareil | Transfert en Italie | MM. | Usine | Remarque | ||
I-REDI | 28/08/1931 | 182 | Dornier, Altenrhein | Baptisé RI Umberto Maddalena | ||
I-ABBN | 13/02/1932 | 208 | Dornier, Altenrhein | Baptisé RI Alessandro Guidoni |
Longueur | 40,05 m |
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Envergure | 48,00 m |
Hauteur au sol | 10,10 m |
Surface alaire | 450 m2 |
Masse à vide | 33 619 kg |
Masse maximale au décollage | 54 500 kg |
Équipage | 16 + 24 passagers |
Motorisation | 12 Fiat A 22 R Puissance nominale : 560 ch Puissance au décollage : 610 ch |
Plafon opérationnel | 3200 m |
Vitesse maximale | 206 km/h |
Distance franchissable | 1700 km |
Sources :
- Grossflugschiff Dornier Do X, Siegfried Horn, Motorbuch Verlag, 1982
- Dornier Do X, Volker A. Behr, Motorbuch Verlag, 2011
- C.M.A.S.A., Costruzioni Meccaniche Aeronautiche S.A., Guido Guidi, Stato Maggiore Aeronautica, Ufficio Storico, 1973
- Le Ali del Littorio, Piccola storia dell'aviazione civile italiana, Guido Mannone, 2004
- Gente dell'aria 4, Giovanni Evangelisti, Editoriale Olimpia, 1997
- Vigna di Valle, Da cantiere sperimentale a museo aeronautico, Giuseppe Pesce, Edizioni dell'Ateneo & Bizzarri, 1979
- L'aeroporto di Vigna di Valle, Cento anni di storia 1908-2008, Ovidio Ferrante, Edizioni Rivista Aeronautica, 2008
- Cagliari-Elmas, Un aeroporto, ottant'anni di aviazione, Vol.1 1925-1939, Alessandro Ragatzu, Alisea edizioni, 2005
- L'Aviazione nel Nord-Est, Storia dei cento campi di volo del Friuli Venezia Giulia 1910-2010, Piero Soré, Giorgio Apostolo Editore, 2010
- Ali tricolori, Gli aerei militari italiani, Parte 2a: 1923-34, Giorgio Apostolo, Storia Militare Dossier n°8, 2013
- Le Dornier Do X, La folie des grandeurs (partie 1), Michel Bénichou & Marton Szigeti, Le Fana de l'Aviation n°436, 2006
- Le Dornier Do X, La folie des grandeurs (partie 2), Michel Bénichou & Marton Szigeti, Le Fana de l'Aviation n°437, 2006
- Le Dornier Do X, La folie des grandeurs (partie 3), Giorgio Apostolo, Le Fana de l'Aviation n°438, 2006
Pour reproduire cet appareil :
Fabricant | Échelle | Référence et désignation | Galerie |
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Revell | 1/144 | 04066 Dornier Do-X | - |
Matchbox | 1/144 | Dornier Do-X | - |
Amodel | 1/72 | 72036 Do-X | - |